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Jennifer Tamas, professeure de littérature : « Des siècles de regard masculin ont peu à peu effacé la portée subversive de la galanterie »

Jennifer Tamas est professeure à la Rutgers University (New Jersey), spécialiste de la littérature française de l’Ancien Régime. Elle publie l’essai Peut-on encore être galant ? (Seuil, 72 p., 4,90 €), dans lequel elle s’interroge sur le « mythe franco-français » de la galanterie.
Le XVIIe siècle français est marqué par une volonté de pacifier les mœurs après des décennies de traumatisme lié aux guerres de religion (1562-1598). C’est par exemple à cette époque que la représentation de la mort et du viol sur les scènes théâtrales est interdite. Ce rejet massif de la violence est essentiel pour comprendre l’apparition de la galanterie, dont l’objectif est d’apaiser les relations sociales. Là où un différend se résolvait par un duel entre hommes, l’idéal galant valorise le débat d’idées et le respect conversationnel. Car cette nouvelle manière de communiquer ne se limite pas aux rapports entre les hommes et les femmes : elle transforme aussi les amitiés et les relations mondaines. Elle se développe dans les cercles aristocratiques parisiens, où l’on se retrouve pour penser les liens humains, philosopher sur l’amour, écrire et déclamer des vers.
Dans une société où les femmes sont encore cantonnées aux espaces intérieurs, ces cercles créent des espaces mixtes au sein desquels hommes et femmes conversent ensemble. La parole de ces femmes est désormais considérée comme légitime. Alors qu’une femme ne devait ni écouter ni parler d’amour sous peine de mettre en danger sa réputation, la galanterie fait voler en éclats ces normes, et les femmes prennent désormais part aux discussions sur l’amour. Elles critiquent le modèle du mariage, ébranlent les frontières de genre et se positionnent dans le jeu amoureux en cessant d’être de purs objets de désir pour devenir des sujets aimants et aimés.
Dès lors, l’avenir de la femme n’est plus réduit à une destinée corporelle oscillant entre le couvent, le mariage ou la prostitution : il devient possible de vivre de culture, de conversations et d’écriture. De plus, de nombreuses femmes abordent, dans leurs œuvres, des thèmes qui résonnent avec les idées féministes contemporaines : Madeleine de Scudéry [1607-1701] parle du mariage comme d’un « esclavage », tandis que les contes de fées de Marie-Catherine d’Aulnoy [1652-1705] permettent de s’interroger sur le viol et le consentement sexuel. Si ce sont surtout des aristocrates qui régulent ces cercles, l’idéal galant se diffuse progressivement : « L’air précieux n’a pas seulement infecté Paris ; il s’est aussi répandu dans les provinces », écrivait Molière (Les Précieuses ridicules, 1659), et la métaphore de la contagion est récurrente. La brèche est ouverte, les femmes savent qu’une autre voie est possible !
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